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Espace Ecriture
27 décembre 2018

SHEAFFER Histoire

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Sheaffer a, comme aucun autre fabricant, marqué les évolutions du stylo-plume ; l’invention du stylo à levier, caractérisée par une technique de remplissage révolutionnaire, permit de remplacer le stylo à pipette et fut pendant de nombreuses décennies le système de remplissage le plus prisé mais aussi le plus plagié. Grâce à la mise au point du bec en iridium au bout des plumes en or, du premier stylo Bicolor ainsi que du modèle Balance, le premier stylo-plume du monde à être conçu de façon ergonomique, Sheaffer s’avère l’un des fabricants les plus innovateurs de la branche.

Lorsque Walter A. Sheaffer, alors âgé de 45 ans, décida d’investir dans la fabrication de stylos des économies faites à la sueur de son front, il avait déjà une expérience certaine dans la mise sur le marché de produits haut de gamme. Né en 1867 à Bloomfield, dans l’Iowa, le fils du joailler Jacob Royer Sheaffer fut contraint d’arrêter l’école à cause de problèmes financiers, et de commencer une formation de joailler lui-même à Centerville et à Unionville. Plusieurs petits emplois de vendeur exercés ça et là lui permirent d’acquérir du doigté dans les affaires ; à 21 ans, il revint à Bloomfield pour devenir actionnaire dans la bijouterie de son père, où il travailla jusqu’à la mort de ce dernier, en 1916.

C'est en découvrant une annonce de la Conklin Pen Company dans l’hebdomadaire local, à l’automne 1907, que Sheaffer commença à s’intéresser aux stylos plume. Sheaffer fut fasciné par cette idée consistant à remplir un stylo modèle Conklin de manière pratiquement automatique et sans pipette. Il se dit pourtant qu’il devait y avoir moyen de s'y prendre encore plus élégamment, sans avoir à passer par ce mécanisme alambiqué et peu ergonomique du stylo de l’annonce, et remplaça alors la pipette par un tube souple de caoutchouc ; dans un petit atelier, dans l’arrière-boutique de sa bijouterie confectionna à cette fin une minuscule outre en caoutchouc qu’il monta dans la hampe du stylo appelé Régulier ou Eyedropper. L’ouverture du mini-récipient mou était si étroite qu’elle pouvait être enfilée toute droite sur l’extrémité du conduit d’encre ; pour substituer le poussoir en forme de pièce évoqué plus haut, Sheaffer confectionna un mince levier, qui s’engageait exactement dans une fente fraisée à même la hampe, n’en dépassant pratiquement pas. Dès que, de l’ongle, on rabattait le levier vers l’extérieur, une mince tige de métal venait comprimer le sac de caoutchouc. On immergeait alors la plume dans l’encre, relâchait doucement le levier et pressait sur le renfoncement de la hampe. En 1908, Sheaffer fit donc breveter le premier stylo-plume à levier de l’histoire. Révolutionnaire, l’invention allait modifier les habitudes en matière d’écriture non seulement en Amérique, mais aussi dans le monde entier.

Au cours des années qui suivirent, l’inventeur américain s’attacha à améliorer son stylo à levier en poussant ses recherches plus avant comme ce dernier se fermait grâce à la seule extension du sac en caoutchouc, ce mécanisme de levier n’était pas pratique outre mesure. De plus, il suffisait que le caoutchouc soit trop vieux, trop mince ou poreux, pour que la flexibilité et, partant, la puissance d’obturation diminue. Ainsi Sheaffer continua-t-il ses expérimentations et finit par mettre au point une tige de levier s’ouvrant ou se fermant automatiquement et indépendamment du caoutchouc, faisant breveter cette nouvelle invention en 1912.

C'est le Ier janvier 1913 que, dans le centre de Fort Madison, fut fondée la W. A. Sheaffer Pen Company, avec un capital social de 35 000 $, tandis que Kraker et Coulson, les deux anciens représentants de Conklin associés de Sheaffer, qui étaient intéressés à 40 % du capital, installaient un département de vente Sheaffer à Kansas City, dans le Missouri. Les premiers temps, à Fort Madison, l’inventeur travailla avec sept collaborateurs, dont son jeune fils Craig, tout ce petit monde fabriquant les stylos à la main. D'ailleurs, il revenait à Craig de découper les leviers à la scie à main, et à partir d’une pièce de métal. La première année, la jeune entreprise réussit à se tailler une part de marché de trois pour cent, faisant un bénéfice de 17 500 $, soit précisément 50 % de l’investissement initial ; lors de l’exercice suivant, ses finances lui permirent de mettre une annonce publicitaire sur toute une page dans le Saturday Evening Post dans toutes les éditions du pays et, en fin d’année, elle put emménager dans son premier corps de fabrique, au 401 de la Front Street. En deux ans, malgré une extension de son parc de machines et l’embauche d’ouvriers supplémentaires, les capacités de production de la manufacture Sheaffer se trouvèrent bientôt dépassées : elle augmenta alors le capital et fit l’acquisition de nouveaux sites de fabrication.

En 1917, elle racheta la Fort Madison Plow Company, optimisa les possibilités de fabrication en modifiant les infrastructures existantes, et devint ainsi l'usine de stylos plume la plus moderne du pays. Le temps avait passé et on en était déjà arrivé à plus de cent employés, qui assemblaient à la main plus de 100 000 stylos plume en 62 phases de fabrication, chaque stylo comportant onze segments. Conjointement, Sheaffer se trouvait engagé dans de nombreux procès afin de défendre ses brevets contre des firmes plus puissantes, procès qu’il gagnait tous... Dans l’autobiographie de 1939, où il décrivait la lutte que se livraient les concurrents, on voit parfois décrites des situations dramatiques. Il raconte comment, un jour de rendez-vous d'affaires à New York, il n’avait réussi à semer un détective privé, lancé à ses trousses, qu’en sautant in extremis d’une rame de métro dont les portes se refermaient déjà.

Alors qu’entre 1913 et 1925, l’industrie du stylo nord-américaine voyait son chiffre d’affaires faire un bond de 400 pour cent, la maison Sheaffer s’accroissait de 2000 %, avec une part de marché qui, entre-temps, était passée à 20 pour cent ! En proposant à la vente, en 1920, son premier stylo Lifetime à plume en or, au prix de 8,75 $, soit trois fois plus cher que les produits concurrents, c’est sciemment quelle provoqua un coup de théâtre dans l’univers des fournitures de bureau ; Sheaffer était en effet d’avis que le prix en était parfaitement justifié, et que les clients, une fois qu’ils auraient pris conscience du caractère haut de gamme de cet article, seraient tout à fait disposés à le payer ... Et le chiffre des ventes lui donna raison, puisque ledit Lifetime à la plume d’or de 14 carats, pour lequel la garantie était illimitée, battit rapidement des records de vente aux États-Unis. Grâce au succès de ses stylos haut de gamme, Sheaffer fut en mesure de verser des salaires plus élevés et d’augmenter ses effectifs.

En 1922, l’entreprise mit sur le marché une encre de son cru et de haute valeur qualitative, la Skrip, produit qui connut également un succès considérable et, en 1923, une série de stylos plume Lifetime entièrement en métal. En 1924, le logo en forme de point blanc en symbolisant Sheaffer fit son apparition. Après un certain nombre de ratés, la firme lança, la même année et à l’échelon mondial, le premier stylo en plastique, quelle baptisa Radite ; les premiers modèles de stylos plume et de porte-mines de cette matière existèrent d’abord en vert jade et en noir puis, un an plus tard, en rouge cerise et en rouge corail. En 1925, cest le Titan qui fut lancé, un portemine particulièrement massif et dont le clip, assez long et arrondi à sa partie supérieure, comportait en son milieu une voussure et, à sa partie inférieure, une bille, rompant en cela avec la tradition du clip droit ; comme pour les autres modèles l’ayant précédé, on y grava « SHEAFFER’S ».

Les premiers stylos plume aérodynamiques et porte-mines de la série Balance, au design dans l’air du temps, furent mis sur le marché en 1929. La forme des parties supérieure et inférieure permettait une répartition équilibrée du poids. En 1930, la maison mit sur le marché un hybride de stylo-plume et de porte-mines, souvent appelé Combo par la suite et, en 1931, la plume Feathertouch plaquée palladium et dont le bec en iridium était poli, de telle sorte qu’on pouvait s’en servir des deux côtés. En 1934, le clip existait en version courte ou longue, et également en version non estampillée.

Le modèle de porte-mines Fineline de 1937 pouvait saisir une mine de 39 % plus fine et était muni d’une gomme escamotable. En 1938, Sheaffer, qui avait dépassé les soixante-dix ans, confia la direction de l'entreprise à son fils Craig Royer, tout en restant président du conseil d’administration ; ayant hérité du courage et de l’énergie de son père, Craig parvint à faire traverser à son entreprise les dures années de guerre, avant de lui faire faire un grand bond en avant à partir de 1945. La nouvelle plume Triumph, de 1942, faisait penser à une quille ; vers le bas, elle devenait bifide, ses deux branches se rejoignant ensuite, par une soudure, en délimitant un chas circulaire. Cette plume servait pour tous les modèles de stylos plume éponymes.

Le premier stylo bille Sheaffer sortit des usines en 1946 ; le RAI Stratowriter était en métal doré, et sa pointe pouvait être rentrée ; afin d’en protéger l’habillage, on l’équipa bientôt d’un capuchon. Un an plus tard sortit sur le marché le stylo bille Tuckaway, dont la pointe et le capuchon étaient inamovibles. On sortit de surcroît la série économique Fineline comportant stylos-plume, stylobilles et crayons ; en dépit de coûts croissants, on parvint à conserver les prix d’avant-guerre, ce qui eut pour effet de faire grimper la demande. Entre-temps, des machines ayant été mises au point, qui permettaient de fabriquer des capuchons et des corps en fonte (en plastique Fortical à partir de1948), les prix de production s’en virent notablement réduits. La plume Triumph qui, jusqu’alors, nécessitait emboutissage et soudure, pouvait à présent être produite d’un seul jet et pourvue d’un filetage permettant de la visser sur le stylo. En 1949, le nouveau système de remplissage Touchdown ouvrit de nouvelles possibilités, puisqu’il devint possible de vidanger, de nettoyer ou de remplir le stylo grâce à la pression de l'air ; il suffisait pour cela. D’imprimer un mouvement descendant au corps intérieur. De ce jour, la maison Sheaffer généralisa, pour la plupart de ses modèles, à la fois la plume Triumph et le système Touchdown.

En 1950 fut lancée la TM, abréviation de « Thin Model », une série comportant d’abord des stylos plume puis, en 1952, également des crayons ; on y trouvait des noms de fournitures comme Master pièce, Triumph, Auto-graph, Signature Engraved, Crest de Luxe, Sentinel, Sentinel Tuckaway ou Valiant.

Le 50 millionième stylo-plume Sheaffer sortit des chaînes d’assemblage en novembre 1951, En 1952, et dans le plus grand secret, l’enseigne lançait le Schnorchel, en assortissant sa sortie de la plus grande campagne publicitaire de son histoire ; le nom évoquait la sorte de tuba des sous-marins de la Seconde Guerre mondiale. Premier porte-tube du monde, ce stylo-plume était pourvu d’un mécanisme complexe permettant de le remplir soigneusement au moyen d’un petit conduit télescopique que l’on pouvait déployer considérablement ; cela dispensait d’avoir à immerger dans l’encrier plume ou conduit ; d’encre. Les prototypes transparents en Incite, qui furent réalisés pour le public afin de mettre en évidence les rouages complexes du système, suscitèrent un énorme engouement.

En 1952, l’enseigne créa une filiale anglaise et, en 1953, Craig Sheaffer démissionna de son poste de président parce qu’il venait d’être nommé ministre du commerce, à Washington, D. C., sous le gouvernement du président Eisenhower ; c’est une fois revenu à Fort Madison qu'il y mourut en 1961, et c’est son fils Walter A, Sheaffer II qui reprit la direction de l’usine, La même année, la maison sortit un stylo bille à mine rentrante et, en 1955, le premier stylo-plume à cartouche destiné aux écoliers.

Avec sa ligne Lady Sheaffer de 1958, l'enseigne révolutionna le design des stylos ; conçue spécialement comme accessoire pour dame, cette série offrait une multitude de couleurs, de présentations, de matériaux et de garnitures, ce en une gamme de 19 variantes, Un an plus tard, et spécialement pour homme, l'enseigne lança le PFM (Pen For Men), dont la plume, la Inlaid, faisait corps avec la hampe selon un procédé original que Sheaffer fit déposer comme modèle : imposant, de facture classique, parfait sur les plans qualitatif et mécanique, le PFM est, pour beaucoup de collectionneurs aujourd’hui encore, le meilleur stylo-plume à avoir jamais été fabriqué.

En 1963, la maison Sheaffer fêta son jubile' en mettant sur le marché une version révisée et améliorée de son Lifetime, stylo-plume dont elle continua d’ailleurs la production jusqu’en 1969. Parmi les nouveautés, c’esi peut-être bien la Nostalgia qui devait le plus marquer les années 1970, une série aux ligne; évoquant les Années Folles, avec des revêtements à filigrane d’argent massif ou de vermeil. En 1976, la marque lançait la Targa, une série originale au corps relativement rectiligne, au clip rectangulaire et dont il existait des versions dans différents métaux, et l’année suivante, on en produisit en laque haut de gamme ; les modèles à s’être particulièrement distingués dans cette série vedette sont le Masterpiece en or de 18 carats, et l'Impérial, en argent massif ou encore en laiton, mais on y trouvait aussi deux modèles de luxe agrémenté l'un d'une opale sur le haut du capuchon, l’autre d’un diamant sur le clip. En 1982, Targa apparut sur le marché, un stylo à la ligne élancée et d'un diamètre moindre.

La tendance des années 1980 étant aux stylos plume de grande taille, Sheaffer voulut y apporter sa pierre en créant le Connaisseur, un modèle en plastique noir doté d’un clip à l’ancienne et d’une plume découverte. Quant à la série originale Valor, de 2007, réalisée en résine acrylique noire, ses équipements en or ou en palladium en firent rapidement un grand classique ; les variantes de couleurs, sorties l’année suivante, sont également usinées au tour à partir de blocs massifs de cette résine, puis polies jusqu’à obtenir un éclat parfait.

C'est pour exalter les Années Folles, leurs paroxysmes culturels et leurs personnalités marquantes, que Sheaffer vient tout juste de lancer la Roaring 20 s, une collection, limitée à 1913 exemplaires à l’échelon mondial et numérotée (1108 stylos plume et 805 rollerballs) ; y ont été gravés avec force détails sur de l’argent massif rutilant, des motifs reprenant des thèmes art déco, ou des sujets liés à l’aviation, au baseball ou au charleston.

Extrait de « La Culture de l’écrit »

BARBRO GARENFELD et DIETMAR GEYER

Aux Editions H.F. ULLMANN

 

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