Aurora le « Hastil »

Le stylo à « clip disparaissant »

La  Fabbrica  Italiana  Penne  a Serbatoio, deuxième grande manufacture de stylos plume en Italie, est créée en 1919 à Turin et baptisée Aurora. A l'origine de cette entreprise, Isaia Levi, un financier turinois, négociant en textile, qui décide d'investir dans la fabrication de stylos à compte-gouttes, stylos safeties et stylos à levier, en caoutchouc noir. Aurora propose aussi un grand choix de stylos revêtus de métaux précieux de très bonne qualité. Vers 1925, la marque lance une nouvelle ligne en Celluloïd, un an seulement après que Sheaffer a introduit cette matière. À partir des années 1930, après avoir produit avec succès des stylos conformes aux modèles américains, Aurora lance le « Novum », équipé d'un levier original et d'un clip de sûreté. Dès lors, la société ne cessera d'inventer des modèles de formes et de couleurs origi-nales, pourvus de quelque gadget particulier. En 1934, l'« Astéropode » confirme cette tendance, bien que s'inspi-rant du « Météore » de Pullman — stylo sans capuchon avec un couvercle actionné par un bouton mobile d'où sort la plume. Suite à l'invasion de l'Abyssinie, en 1935, Aurora sort un stylo spécial pour les soldats italiens à l'étranger : l'« Ethiopia », qui fonctionne avec des pastilles d'encre.

Bien qu'ayant beaucoup souffert de la guerre — contrairement à Omas —, la société redémarre en 1947 avec l'« Aurora 88 » pour répondre aux exigences nées de la mode du « Parker 51 ». Conçu par l'architecte industriel Marcello Nizzoli, ce stylo connaît un grand succès. En 1954, alors que le stylo bille est déjà très populaire, l'entreprise lance une version à cartouche de l'« Aurora 88 », le « Duo Cart ». Le corps est suffisamment grand pour contenir une cartouche de rechange en polyéthylène, inventée par le professeur Natta, lauréat du prix Nobel de chimie. Dans les années 1960, la marque est rachetée par la famille Verona, mais jusqu'en 1970 aucun de ses stylos plume ne parviendra à rivaliser avec le bille.

Cette année-là, Aurora fait appel à Marco B   Zanusso, le célèbre architecte, pour concevoir en |     exclusivité un stylo révolutionnaire : le « Hastil ». Le début des années 1970 est l'une des périodes les plus |   fertiles de Zanusso. Né à Milan en 1916, il étudie l'architecture à l'École polytechnique de 1935 à 1939. Après la guerre, il travaille pour Olivetti sur plusieurs projets architecturaux et pour Pirelli, qui lui offre de suivre l'intégralité de la production du mobilier d'une filiale design, Arflex. L'utilisation révolutionnaire du caoutchouc l'entraîne vers des formes nouvelles, influencées par une tendance minimaliste et sculpturale que l'on retrouve parfaitement dans les lignes du « Hastil ». C'est un stylo lisse et rectiligne, en acier spécialement traité. Son corps aérodynamique et élancé de 8,5 mm de diamètre fait disparaître l'habituelle protubérance du clip, qui ici affleure juste à la surface du capuchon en s'escamotant presque complètement. Détail étonnant, le « Hastil » possède des « freins », deux éléments crénelés noirs, situés sur la partie terminale du réservoir et actionnés par un système astucieux de micro ressorts qui retiennent le capuchon sur le corps quand le stylo est ouvert, empêchant ainsi les frottements. Design et technologie sont intimement liés, et Marco Zanusso n'a pas négligé l'alimentation du stylo; le système, breveté, est appelé « Idrograph ». À l'intérieur, le conduit capillaire est entouré de deux poches d'air : la première assure un écoulement régulier de l'encre, et la seconde, en absorbant tout excès de liquide, évite les fuites. C'est donc un flot d'encre constant qui arrive vers la plume. Celle-ci, en or blanc 14 carats, est assortie, bien sûr, à la couleur du corps du stylo. Le classicisme de ses lignes, sa fonctionnalité ont fait du « Hastil » un produit mythique du design italien. Il figure dorénavant dans la collection permanente du département de design industriel du musée d'Art moderne de New York.

Extrait de 100 Stylos de Légende de Nathalie Valax, Isabelle Chabeur et Bruno Lussato édité en Septembre 2001 chez les Editions SOLAR Paris

Ci-dessus le « Hastil » de 1970 en acier, symbole du design industriel moderne.